Muriel Demangeat, l’équation poétique

Préscience, science et « post-science »

Muriel Demangeat est une artiste « chercheuse », scientifique, qui s’applique, dans sa pratique artistique à croiser les deux approches cognitives majeures que sont la science et l’intuition. Son approche scientifique est intrinsèquement liée à son métier d’ingénieur de recherche internationale, alliant physique des particules et informatique. Ce regard spécialisé lui permet de côtoyer de manière intime des notions liées à la théorie de la relativité et l’effet photo-électrique (Einstein), à la mécanique quantique (de Schrödinger à Feynman), pour se porter finalement sur une ouverture incluant la synthèse de ces deux approches, proposée par Jean-Emile Charon.L’intuition quant à elle, la mène sur les chemins de la philosophie, de la spiritualité et de la méditation, en particulier inspirées par Helena Blavaski, spécialiste des pensées orientales et qui explore la « mémoire Akashique », avec l’idée d’un enregistrement de la mémoire universelle. La convergence entre ces deux approches se fait à travers d’autres penseurs tels Ervin Laszlo pour qui la « théorie du Tout » est une tentative pour relier ces deux modes d’appréhension du monde ; ou encore à travers une figure comme Etienne Klein, qui, par sa vulgarisation qualitative des sciences, s’emploie depuis de nombreuses années à faire des ponts entre art, sciences et philosophies. Mais le plus important dans tout cela est évidemment l’inépuisable source de créativité qu’elle tire de cet antagonisme fécond par rapport à son travail artistique. Depuis toujours en effet, elle cherche et trouve des formes multidisciplinaires singulières qui expriment de manière expérimentale ou poétique, la façon dont la science (et notamment dans « l’intrication quantique »), au même titre que la « préscience », révèle notre mémoire universelle.

Une théorie des couleurs ?

Tout cela pourrait paraître abscond si notre artiste ne s’était donnée comme mission principale de nous ouvrir précisément les portes de cet univers habituellement réservé aux « sciences dures », en nous permettant de « visualiser » la beauté de ces concepts mathématiques, physiques, chimiques. Raison pour laquelle elle développe, véritable fil rouge de sa pratique, dans un travail « in progress », son « Alphabet quantique des couleurs ». Cet « abécédaire » chromatique nous propose une grille de lecture, codée, puis décodée, lisible pour tout un chacun, entre les différentes réalités d’un pigment sur le plan scientifique : structure cristalline révélée par les rayons X, anneaux de diffraction X résultant de l’expérience, structure organique, longueur d’onde etc… Mais aussi leurs équivalents plus intuitifs, à savoir le son-fréquence hertzien qui en résulte (et qui génère une musique liée à l’œuvre qu’elle nous fait entendre via un code barre) ou encore la correspondance chromatique avec les différents chakras de méditation. A partir de ce « portail » artistique et scientifique, Muriel Demangeat propose une multitude de pièces résultant de cette démarche, depuis des panneaux peints reprenant certains de ces éléments, jusqu’à l’installation immersive (dans l’esprit du travail de Hugo Verlinde) invitant le regardeur à assister, vivre et participer à la métamorphose des différents états possibles d’une couleur. Elle réalise également une collection d’œuvres sous forme de NFT donc chacune vient révéler le processus de correspondances complexes inhérent à chaque tonalité pigmentaire.A la suite d’un Chevreul, d’un Itten, d’un Kandinsky, notre artiste initie donc sa vision de l’harmonie des couleurs en lien avec des approches résolument contemporaines. A travers cet alphabet, elle se montre bien entendu très sensible aux questions soulevées par Joseph Kosuth dans ses interrogations sur les équivalences conceptuelles et sémantiques. Mais elle le fait via ses propres grilles d’analyse dont les références s’apparentent à des niveaux de perception et de représentation très différenciés.

Une synthèse entre diversité et convergence

S’il y a bien une leçon que Muriel Demangeat tire de ses trois sources d’approches du réel : science, spiritualité et art, c’est bien celle de la diversité des points de vue. Il n’y aurait donc pas, vieux débat philosophique, une seule réalité, mais au contraire, des réalités plurielles. C’est donc forte de ces puissants vecteurs de réflexionqu’elle s’attelle à présenter différentes séries qui attestent de la nécessité pour chacun, de comprendre la relativité du réel et donc, sur le plan éthique, la liberté de point de vue pour autrui. Mais, là aussi, elle nous propose une autre conclusion ultime et paradoxale, dialectique en forme de « pas de deux », suite à son affirmation de la différence : car sa conviction l’amène à concevoir une interconnexion entre les êtres très étroite. Le phénomène de « l’intrication quantique », renvoyant aux formes premières de circulation de l’information, nous permet en effet de penser, au même titre que la philosophie spirituelle, que l’interdépendance est une donnée structurante et essentielle à notre compréhension du monde. Et c’est donc cette double approche complémentaire : diversité et convergence, qui irrigue l’ensemble de son corpus artistique :

  • La série « diffraction », ou Alphabet X des couleurs, permet de concevoir un modèle chromatique perçu à travers des filtres très éloignés les uns des autres
  • La série « réfraction », largement inspirée du « Op Art » et plus particulièrement de Bridget Riley, montre combien une ligne peut être simultanément, selon les points de vue, droite ou « brisée » en plusieurs morceaux.
  • La série « réflexion » utilise l’effet miroir présent autant dans la réalité physique que mentale pour montrer les multiples déformations possibles dans la perception d’un objet ou d’un fait.
  • La série « application » est un processus d’analyse, de dématérialisation et de re matérialisation, appliqué à des œuvres iconiques de l’art moderne et contemporain (Munch, Van Gogh, Mondrian…)., les réactivant ainsi de manière particulièrement originale
  • La série « mentalisation » lui permet de composer directement des pièces à partir des symboles de l’alphabet quantique des couleurs pour ensuite les retranscrire en utilisant les pigments.
  • La série « investigation », quant à elle, nous propose un univers résolument engagé, qui souligne les interconnexions humaines et leurs dysfonctionnements, en particulier totalitaires. La matérialisation passe par des QR Codes imprimés sur la peau renvoyant par leur reconnaissance optique (scan), à des créations sonores originales : textes et sons, qui constituent une part importante du travail de l’artiste

Penser et ressentir la lumière du monde

L’ensemble de ce travail artistique se déploie donc sous des modalités très diversifiées, empruntant à plusieurs mediums, depuis le trait et jusqu’à la donnée numérique brute, en passant par le son, le NFT, l’installation et la peinture. De sa pratique picturale initiale, elle garde évidemment le pigment, le sens du dessin. Mais ce qui l’intéresse sur le plan formel, c’est avant tout le processus d’équivalences divergentes comme convergentes, rendu possible par une analyse multifocale du réel. Ce regard qui balaye ses objets d’étude à 360 °, laisse une large part à la multitude de mutations possibles tant sur le plan des perceptions visuelles et sonores, que dans l’indétermination des matériaux mêmes de l’art qui constitue sa source de réflexion.Par sa double position de scientifique et d’artiste, Muriel Demangeat nous propose de renouer avec un état plus complet de notre intelligence : intellectuelle tout autant qu’intuitive ; multiplicité d’une même réalité ; visualisation de soi-même et des autres dans leur différence comme dans leur interdépendance ; acceptation d’autrui ; convergence dans la diversité. Elle est comme ce « photon grain de lumière » qui, se glissant dans toutes les anfractuosités de notre perception parce qu’essence même de l’existant, vient nous révéler la beauté de la complexité du monde.